DOSSIER

La Traite des Noirs

Les grandes explorations, qui marquent la fin du XVe siècle et le siècle suivant, permettent aux grandes puissances européennes de se doter de nouveaux territoires. Pour en exploiter les richesses, elles réduisent en esclavage des populations africaines. Les esclaves noirs deviennent un élément clef du " commerce triangulaire " qui s'établit entre le Vieux continent, l'Afrique et les colonies.

Des bras pour les colonies

Le 8 août 1444, un navire portugais débarque sur les rives ibériques 235 esclaves noirs. Cette première livraison sera suivie de beaucoup d'autres tout au long du XVe siècle. En important des esclaves africains, le Portugal résout son problème de pénurie de main d'œuvre agricole. Cette initiative va inspirer le voisin espagnol. Au début du XVIe siècle, le royaume de Ferdinand le Catholique puis de Charles Quint a besoin de bras pour exploiter ses nouvelles et immenses terres du Nouveau Monde découvert par Christophe Colomb. Les colons qui se sont installés en Amérique du sud et dans les Caraïbes ont bien commencé par faire travailler les populations indigènes, en vertu des " repartimentos " qui les autorisent à utiliser ces communautés à condition de les nourrir et de les instruire dans la religion catholique. Mais le travail forcé imposé aux Amérindiens a eu raison de leur résistance, et la population autochtone est décimée. Les horribles conditions de vie des indigènes ont d'ailleurs ému le missionnaire espagnol Bartolomé de Las Casas, qui milite pour l'interdiction de l'esclavage des populations locales. Il finit par obtenir gain de cause en 1542, avec la promulgation des " Nouvelles Lois " par Charles Quint. Les Espagnols décident de remplacer les Indiens par des esclaves " importés " d'Afrique (ce qu'encourageait Las Casas, avant de dénoncer la traite à la fin de sa vie). Les Noirs sont censés être durs à la tâche et résistants au climat tropical. Les autres puissances européennes, désireuses de tirer le meilleur parti de leurs colonies, leur emboîtent le pas.

 

Un trafic très profitable

L'importation des esclaves est un moyen peu coûteux d'exploiter les terres. En outre, elle fait naître au XVIIe siècle un commerce que la France, l'Angleterre, le Danemark et la Hollande se disputent, tentant de s'en approprier le monopole par le biais de grandes compagnies telle que la Compagnie des Indes. La traite deviendra au XVIIIe siècle une mine d'or pour une multitude d'armateurs et de négriers installés à leur compte. Dès le XVIIe siècle, le commerce triangulaire est bien rôdé : les Européens échangent leurs produits contre le " bois d'ébène ", c'est à dire des esclaves qui sont ensuite transportés jusqu'aux colonies où ils sont vendus ou échangés contre les précieuses denrées locales, coton, tabac, sucre, qui sont ensuite revendues sur le Vieux continent avec force profits. Le transport des esclaves par bateau se fait dans des conditions tellement épouvantables que beaucoup périssent en route. Les survivants sont employés dans les colonies à des tâches domestiques ou dans le commerce (surtout dans les colonies du Nord), ou encore à des travaux dans les vastes exploitations du Sud de sucre, de coton ou de tabac. Ils sont la propriété de leurs maîtres, et n'ont bien souvent aucune liberté. Les " nègres marrons " (fuyards) qui ont le malheur d'être repris subissent de douloureux châtiments. Ainsi, dans les colonies françaises, selon le Code noir établi par Colbert en 1685, ils ont les oreilles coupées et sont marqués d'une fleur de lys à l'épaule. S'ils récidivent, on leur coupe un jarret.Ce système, qui a perduré jusqu'au XVIIIe siècle, a permis d'accélérer la croissance économique des grandes puissances, enrichies du travail et du commerce des esclaves. Grâce à cette prospérité gagnée alors, elles sont encore aujourd'hui dans le clan des riches, ceux que l'on appelle " les pays industrialisés ". L'Afrique a, elle, perdu trois siècles et une grande partie de sa population. On estime que plus de 10 millions de Noirs ont été importés dans les colonies. Mais combien sont morts lors des razzias des chasseurs d'esclaves dans les villages ? Ou dans les navires négriers, de maladies, de faim, de mauvais traitements, en se suicidant ou au cours des mutineries ?

 

Le commerce triangulaire

Les Occidentaux n'ont pas institué l'esclavage en Afrique, où cette pratique était connue depuis des siècles. Il était courant parmi les peuples africains d'asservir les membres des tribus ennemies capturés. C'est cependant avec l'essor de l'islam à partir du VIIe siècle que la traite s'est développée sur le continent. Des populations entières ont été soumises par les conquérants arabes qui organisèrent deux principaux réseaux de traite, le premier, transsaharien, alimentant l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient, le second en direction de la péninsule Arabique. Cependant, une nouvelle organisation se met en place avec l'arrivée des Européens sur les côtes occidentales (Guinée, Sénégal). Les futurs esclaves sont capturés à l'intérieur des terres, où les Européens ne se risquent guère, par des Africains. Les prisonniers sont ramenés dans les ports où des négriers blancs les échangent contre des articles de peu de prix pour les Européens (verroterie, alcools…) et les captifs sont ensuite acheminés par bateau vers les colonies d'où leur vente permet de rapporter en Europe des produits exotiques de forte valeur marchande : c'est le commerce triangulaire.

 

Le mouvement abolitionniste

Au XVIIe siècle, quelques voix s'élèvent pour protester contre l'asservissement des êtres humains. Ainsi, deux prêtres, le Français Épiphane de Moirans et l'Espagnol Francisco Jose de Jaca, sont jugés par un tribunal ecclésiastique espagnol en 1681 pour avoir condamné l'esclavage et promis aux maîtres la damnation s'ils n'affranchissaient pas leurs esclaves. Cependant, ce n'est que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle qu'un véritable mouvement abolitionniste se constitue, notamment en Angleterre autour du député William Wilberforce. Il prend une telle ampleur que la Grande-Bretagne abolit la traite dès 1807, et l'esclavage en 1833. Les choses vont plus lentement en France, où la cause abolitionniste n'intéresse quasiment que les intellectuels du siècle des Lumières. Si Diderot ou Montesquieu pourfendent l'esclavage, d'autres, tel Voltaire, seront plus modérés : il n'est pas toujours facile de remettre en cause un système qui assure la prospérité de la France. En 1770, l'abbé Raynal publie clandestinement Histoire philosophique et politique dans les deux Indes, ouvrage auquel participe Diderot, où il écrit que " la traite est le plus atroce de tous les commerces ". En 1788 est fondée la Société des Amis des Noirs autour de Condorcet et Mirabeau, de tendance modérée puisqu'elle se prononce contre la traite, mais pour un maintien provisoire de l'esclavage.

Les droits de l'homme et du citoyen proclamés en 1789 par une Révolution triomphante ne semblent pas devoir s'appliquer aux Noirs. Il faudra attendre 1794 pour qu'un décret de la Convention abolisse l'esclavage, mais il est diversement appliqué dans les colonies. Dès 1802, Napoléon Bonaparte, alors Premier consul, rétablit la traite et l'esclavage sous la pression des puissants colons et armateurs. Cependant, en 1815, revenu au pouvoir, il décrète la fin de la traite. Elle se poursuit pourtant de façon illicite. Il faut attendre le 27 avril 1848 pour que soit signé le décret d'abolition de l'esclavage, une grande victoire pour des hommes tels que l'abbé Grégoire et Victor Schœlcher qui, toute leur vie, ont livré un combat pour l'égalité des hommes.

Aux États-Unis, l'abolition du système esclavagiste intervient à la fin de la guerre de Sécession, en 1865, lorsque les États du Nord, abolitionnistes, l'emportent sur ceux du Sud.

 

Chronologie de l'abolition de la traite des Noirs et de l'esclavage

1751 : Les Quakers interdisent l'esclavage au sein de leur communauté.
1792 : Le Danemark est le premier pays à abolir la traite négrière.
1793 : Abolition de l'esclavage à Saint-Domingue.
1794 : La Convention française abolit l'esclavage dans les colonies.
1802 : Napoléon Bonaparte rétablit l'esclavage.
1807 : Abolition de la traite négrière aux États-Unis et en Angleterre.
1815 : Les puissances européennes, dont la France, décident au congrès de Vienne d'abolir la traite négrière.
1833 : L'Angleterre abolit l'esclavage.
1848 (27 avril) : La France abolit l'esclavage.
1865 : Les États-Unis abolissent esclavage.
1888 : Le Brésil est la dernière colonie à abolir l'esclavage.
1926 : Conférence internationale sur l'esclavage. La Société des Nations adopte une Convention interdisant la traite et l'esclavage.
1948 : Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'ONU.