DOSSIER
Christophe Colomb et les Indiens
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Il avait donc raison, Las Casas, de les appeler "douces brebis" puisque avec "cinquante hommes" on garderait "subjugué" tout un peuple, évalué par Colomb lui-même à plus d'un million. En homme qui avait de la suite dans les idées,

"Colomb envoya souvent un grand nombre d'Indiens à vendre comme esclaves en Espagne. En février 1495, par exemple, quelques 500 esclaves d'un âge allant de 12 à 35 ans, et en juin de la même année 300 autres."C'était sa façon de répondre à la cordiale hospitalité que des hommes "aimables et sans convoitises" avaient réservée à son arrivée (comme on lira au chapitre "L'accueil fait à l'homme blanc par les Indiens"). On cherche toujours à excuser si non à justifier l'oeuvre des tueurs d'Indiens, de Noirs et autres "sauvages" avec l'argument de l'anachronisme de la critique. Cependant, les Indiens et leurs amis peuvent-ils pardonner Colomb alors qu'il dépassa même les méthodes nazis? Rappelons nous des otages exécutés en représailles pour la mort d'un soldat allemand exécuté par la Résistance! Colomb mit en pratique cette méthode dès son deuxième voyage au Nouveau Monde. Il inaugura ainsi les cruautés des conquistadores, comme il avait inauguré la mise en esclavage des Indiens. En avril 1494, son lieutenant Alonso de Hojeda - devenu par la suite un de ses pires ennemis - lui avait envoyé, enchaînés, le cacique d'une tribu voisine, ainsi que son frère et son neveu. L'accusation était que ce cacique n'avait pas puni les Indiens qui auraient volé des vêtements à des Espagnols. Colomb, sans même s'assurer du bien fondé de l'accusation, les fit décapiter tous les trois. Il n'avait pas fait cela pour le même motif que les Nazis, non parce qu'on avait tué un soldat allemand, mais à cause d'un supposé "vol de vêtements". Las Casas, biographe de Colomb, fait passer son amour de la Justice avant son admiration pour son héros, en écrivant au sujet de ce triple assassinat d'innocents,

"Ce fut la première injustice commise contre les Indiens, et le commencement d'une effusion de sang qui fut versée si copieusement par la suite."

Colomb, premier esclavagiste chez les Indiens, premier pour y commettre une injustice, premier pour l'effusion de sang d'innocents, écrit Las Casas. Ajoutons avec Juan Collier, premier aussi pour l'extorsion de tributs insupportables, pillage qu'il fut le premier à institutionnaliser : "Il imposa aux individus à partir de 14 ans, aux familles, aux communautés et aux districts des tributs qui auraient été terribles pour n'importe quel genre d'habitants. Pour ces indigènes des Indes Occidentales, non habitués à travailler plus que l'indispensable pour leur genre de vie 'gentille et allègre', la charge résulta intolérable."

Tout cela était dans l'ordre des choses, car ni Colomb ni les conquistadores n'allèrent au Nouveau Monde pour y porter le christianisme ou la civilisation. Leur seul aiguillon était le pillage. Cependant, la Justice fut immanente! Tous les beaux rêves de Colomb se terminèrent pour lui par sa fin lamentable, sur la paille, humilié et criblé de dettes. Dans quel état d'âme a-t-il dû se trouver lorsque le gouverneur de 1'île La Española, Nicolas de Ovando, lui refusa l'asile sur cette île, à lui et à ses hommes naufragés. Colomb, qui avait découvert cette île, s'en voyait refuser l'accès après une dizaine d'années par le fonctionnaire d'une Couronne qu'il avait comblée. Il aurait dû faire alors une comparaison entre la conduite inhumaine d'Ovando envers des naufragés de ses compatriotes et l'hospitalité cordiale dont il avait joui, lui et son équipage, de la part du roi indien Guacanagarí, en circonstance similaire. S'il avait eu l'idée de faire cette comparaison, il se serait peut-être fait Indien au lieu de retourner en cette Europe des Nicolas de Ovando. Il aurait ainsi fait comme Gonzalo Guerrero pour l'absolution de ses péchés.

Il mourut le 20 mai 1506 "oublié" et abandonné de tous, trahi par le machiavélique roi d'Aragon Fernando, l'indigne époux d'Isabel La Catholique, grande reine protectrice des Indiens. Il mourut dans une chambre d'une sordide auberge de Valladolid, en contemplant, accroché à un pan de mûr, le dernier souvenir douloureux de sa Prouesse : les chaînes avec lesquelles des ingrats l'avaient lié pour le renvoyer en Espagne comme un vulgaire criminel - des ingrats auxquels il ouvrit pourtant la voie pour la conquête de grands Empires. Il avait sorti l'Europe de la Faim, mais il n'avait pas eu pour lui-même l'étoffe de ses ambitions. Il avait les dents longues mais ne savait mordre que les Indiens. On ne sait même pas aujourd'hui où, en vérité, fut enterré Christophe Colomb. Il n'est pas certain du tout que ses prétendus ossements gardés à Séville, après un périple séculaire à Saint-Domingue et La Havane, soient véritablement les siens.