DOSSIER

L'accueil fait par les Indiens 
Les conquistadores pris pour des dieux. 
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"Il (le roi d'une île que visita Colomb) me dit que s'il y avait ici quelque chose qui me plaisait, toute l'île était à ma disposition.".On lit cela dans le journal de bord de Colomb, du 18 décembre de l'année de son arrivée aux Antilles. Le 30 du même mois, invité par le roi d'une autre île, il fut reçu dans une telle ambiance de cordiale hospitalité que ce roi enleva de sa tête sa couronne pour la poser sur celle de son hôte. En pleine euphorie! C'est cela qui fit écrire au vainqueur de la "Mer Ténébreuse" aux rois catholiques : "Ce sont des gens très aimables et sans convoitises. Je certifie à Vos Altesses qu'il n'y a pas au Monde de meilleurs gens. Ils aiment leur prochain comme eux-mêmes et ont de très bonnes moeurs."

Ce qui n'empêcha nos barbares Européens de salir leur mémoire, après les avoir exterminés, les traitant de "sodomites" et de "voleurs". Dans une lettre adressée par Colomb à ses souverains on peut lire que : "Ces gens-là sont si dociles et pacifiques qu'il n'existe pas de meilleure nation au Monde. Ils aiment leur prochain, et leur langage est toujours doux et accompagné de sourire. Ils doivent être de bons serviteurs; intelligents, je crois, car ils répètent très vite tout ce que je leur dis."

Quand, ils virent arriver Colomb et ses compagnons à Guanahaní ils les prirent pour des hommes descendus du ciel, dans le sens propre du mot. Ils se criaient de hutte en hutte : "Venez voir les hommes qui descendent du ciel. Apportez-leur à manger et à boire", et "Beaucoup d'hommes et de femmes allèrent leur portant chacun ce qu'ils avaient, se jetant au sol et levant les mains au ciel. D'autres allaient vers les "maisons qui vont sur l'eau" porter des perroquets, des pelotes de coton filé et autres choses."

Ils ne connaissaient d'autres armes que des petites fléchettes armées d'arêtes de poissons, juste bonnes pour la chasse au petit gibier et la pêche. Les habitants de Guanahaní vivaient sans travailler plus que chasser, pêcher ou cueillir des fruits pour leur subsistance. En les mettant au travail forcé on les anéantit totalement. On les mit d'abord au travail pour déboiser, afin de faire des plantations de coton pour l'Europe. Résultat du déboisement? les vents desséchèrent le sol, et cette île est aujourd'hui un DÉSERT! Un phare très puissant - le progrès! - la domine maintenant, éclairant les marins à une distance de 34 km. Pauvre Guanahaní! Pauvres Lacayos! "douces brebis" comme les appelait Las Casas. Guanahaní, appelée San Salvador par Colomb, fut re-débaptisée par les Anglais (quand ils en chassèrent les Espagnols) en Watlings Island. À quand le pèlerinage à l'ex-Eden des Lacayos devenu le désert Watlings Island? Des pèlerinages avec de grandes banderoles portant l'inscription : "Le Ventre de l'homme blanc reconnaissant à Christophe Colomb". Mais qu'importe le désert puisque nous avons donné à cette île des noms civilisés? Comment peut-on s'appeler Ganahaní? "Comment peut-on être Persan?"

Partout les Indiens reçurent de la même façon les premières arrivées d'"hommes blancs barbus". Sur les côtes nord d'Amérique du Sud par exemple, quand en 1498 Colomb "se dirigeant vers l'Équateur pour découvrir des régions aurifères, il arriva au Golfe PARIA dont les habitants portèrent aux étrangers des aliments et des perles en abondance." Plus au sud, quand les Portugais posèrent pied pour la première fois sur la terre qu'ils appelèrent Brasil - avec l'expédition Cabrai - "...que les marins portugais cherchent du bois ou qu'ils lavent leur linge, immédiatement le petit peuple basané offrait son aide" Tout comme au Brésil, les Peaux-Rouges d'Amérique du Nord sauvèrent souvent du froid et de la faim les Anglo-Saxons nouvellement arrivés, en leur donnant des conseils pour la pêche et la chasse et en les réconfortant de ce dont ils avaient, ainsi qu'en les aidant à se construire des cabanes propres à hiverner : "Plus d'une fois une colonie anglaise fut sauvée de la mort parce qu'elle fut approvisionnée à temps par des tribus voisines d'Indiens". On lira au chapitre du "Dragon Anglo" comment les descendants directs de ces Anglo-Saxons témoignèrent leur reconnaissance envers les descendants des bienfaiteurs de leurs ancêtres. Il en fut ainsi partout, tant en Amérique du Sud que du Nord. Cet accueil cordial ne fut pas le fait que de tribus et de roitelets. Que ce soit chez l'Inca Atahualpa au Pérou ou chez le Tlatoani, Moctezuma des Aztèques, partout l'homme blanc fut reçu chaleureusement.

Moctezuma, maître d'un grand Empire, avait comblé les conquistadores à leur arrivée sur ses terres. Chez les Mexicains précolombiens, il y avait une légende très populaire de "Dieux Barbus" qui auraient visité jadis leur pays venant "du côté où se lève le soleil" et seraient repartis en promettant de revenir un jour. S'agissait-il d'un des contacts évoqués au chapitre " Les Amérindiens précolombiens : Apports à l'Europe, origine et religion " ou au chapitre " Christophe Colomb et sa prouesse : La non-Découverte de l'Amérique "? Quand les Mexicains virent donc pour la première fois les conquistadores, ils s'écrièrent : "voici nos Teules revenus "

Lorsque les hommes de Cortés se pavanèrent sur la plage, montés sur leurs chevaux, ils furent pris pour des "Teules" centauriens, des divinités formant homme et bête en un seul corps. Les ambassadeurs de Moctezuma qui vinrent leur souhaiter la bienvenue en les comblant d'offrandes en or, cotonnades, perles fines et divers objets d'art, se prosternèrent devant eux, leur brûlant de l'encens comme ils avaient coutume de le faire pour leurs dieux. Lorsque Cortés fit tirer quelques coups de bombardes pour les impressionner, ils se couchèrent au sol paniqués, croyant que les "dieux" qui venaient d'arriver faisaient du tonnerre. Sahagún su le mieux nous décrire l'état d'âme et l'émotion du Tlatoani des Aztèques, quand il se trouva face à Cortés, lui disant : "Oh, notre seigneur! Soyez le très bienvenu. Vous êtes arrivés sur vos terres, chez votre peuple, chez vous au Mexique(...). Je ne suis pas en train de rêver, je vois votre face et votre personne. Vous êtes sorti des nuées et du brouillard, lieux qui nous sont cachés à nous mortels(...). Soyez les bienvenus, reposez-vous maintenant en ces palais qui sont les vôtres."

Pour Moctezuma, Cortés était son dieu Quetzalcoatl, le Messie dont ils attendaient le retour. Lui-même ne se croyait que l'incarnation passagère de Quetzalcoatl, tandis que Cortés était à ses yeux son Dieu en chair et en os. D'après le recueil de manuscrits indigènes datant de la conquista et connus sous le nom de "Codice Ramirez", à l'arrivée de Cortés à Mexico, "Les Indiens s'agenouillaient et les adoraient comme des fils du Soleil, leur dieu, et disaient que le temps prédit souvent par leur empereur Netzahualpitzintli était arrivé. C'est ainsi qu'ils (les conquistadores) entrèrent se reposer dans le palais impérial."Dans un autre manuscrit indigène, connu sous le nom de "Anonimo de Tlatelolco", et dont l'original se trouve à. la Bibliothèque Nationale de France, revient plusieurs fois l'expression "écoute Dieu" à l'adresse de Cortés, de la part de caciques vassaux de Moctezuma.

On doit ici une explication au lecteur qui se posera avec raison la question de savoir comment Mexicains et Espagnols pouvaient se comprendre. Cela vaut donc la peine d'ouvrir une parenthèse sur la question des interprètes, qui est également caractéristique de l'accueil fait en général par les Indiens à l'homme blanc. Les communications inter langues se firent par le truchement de deux interprètes : un Espagnol, Jeronimo de Aguilar, parlant le maya et une Indienne nommée Malinche parlant sa langue maternelle le náhuatl, qui était celle des Mexicains, et également le maya. Ainsi Malinche traduisait à Aguilar du náhuatl au maya, et lui du maya à l'espagnol. Ce qui est intéressant est comment Aguilar apprit le maya. Naufragé sur les côtes de Yucatan quelques années avant l'arrivée de Cortés Mexique, avec quelques autres Espagnols "captifs", ils furent répartis entre différentes tribus. Quand Cortés arriva le long des côtes de l'Empire de Moctezuma, son armada rencontra une embarcation montée par des indigènes. À la surprise générale, un "Indien" de l'embarcation, qui n'etait autre que Aguilar, parlait espagnol. Grandes embrassades, et Aguilar heureux de se retrouver avec des compatriotes. Il leur demanda d'aller voir un de ses compagnons, captif comme lui à quatre lieux de la côte, pour lui demander de les rejoindre également. Le "captif" en question(Gonzalo Guerrero), d'"esclave" devenu cacique de sa tribu, marié à une Indienne et père de trois enfants, refusa de suivre Aguilar, préférant rester au sein de sa famille indienne et à la tète de ceux qui le nommèrent cacique.

Gonzalo Guerrero fut un parangon de l'Éthique Las Casas. Il s'était fait indien et avait mit au service des Indiens ses talents militaires, en se battant jusqu'à la mort à leur tète contre ses propres compatriotes. Ce que fit le Père Las Casas avec sa plume, Gonzalo Guerrero le fit avec son épée. Ce qui fait honneur à l'Espagne est qu'il ne fut pas le seul Espagnol à avoir embrassé la noble cause de la défense de l'agressé contre les agresseurs, de l'opprimé contre les oppresseurs. Contrairement à Guerrero, Aguilar se fit complice de Cortés, l'ingrat! Avec Aguilar et Malinche Cortés, en mettant pour la première fois les pieds sur la côte du Mexique, n'était pas armé que de bombardes, d'espingoles et de lourdes épées. Il était également muni de l'aide précieuse de deux interprètes pour lui traduire le culte de sa déification.

Cette déification des conquistadores à leur arrivée au Mexique se reproduisit plus tard au Pérou. Selon la mythologie inca, un Inca rêva une nuit d'un homme qui "avait de la barbe au visage, à la différence des Indiens qui sont généralement imberbes, et était vêtu jusqu'aux pieds, au contraire des Indiens qui ne sont habillés que jusqu'aux genoux. C'est à cause de cela qu'ils appelèrent "Viracocha" les premiers Espagnols arrivés au Pérou." Ayant vu arriver Pizarro et ses hommes, ils les prirent pour leur Dieu Viracocha et sa suite. C'est comme Dieux que les Indiens accueillirent partout nos barbares Européens qui se comportèrent, eux, en tout lieu, comme de vulgaires brigands de grands chemins. Comme s'ils n'étaient pas des êtres humains ceux qui habitaient ces terres, qui portaient des noms bien à elles, on appela les violations de domicile d'autrui Nouvelle Espagne, Nouvelle Angleterre, Nouvelle Ecosse, Nouvelle France, Nouvelle Amsterdam.

L'amabilité, le gentillesse, l'hospitalité et l'esprit de solidarité qu'avaient témoignés les habitants du Nouveau Monde aux "hôtes", du Sud comme du Nord de cet immense continent, sont un terrible acte d'accusation contre notre civilisation dans son ensemble, et non contre telle ou telle nation européenne en particulier. Nous sommes tous des Barbares, malgré notre "Présomption d'être civilisés" comme écrivait Bernardino de Sahagún, confirmé par le grand Montaigne.